👁️ 5 hypothèses de changement 👁️

Une édition écrite à 10 yeux pour imaginer 2023

Ecrit par Noémie Aubron
December 15, 2022
Cet article contient de la fiction prospective. Ce contenu est fictionnel. Il est toutefois inspiré par l'observation de signaux faibles et d'émergences issue d'une veille intensive sur l'évolution des modes de vie. Abonnez-vous pour recevoir une nouvelle fiction tous les jeudis.

👁️ 5 hypothèses de changement à surveiller 👁️

🔮👁️😮 Est-on en train de passer d'un monde où contourner le besoin d'électricité est l'apanage de la pauvreté à un monde où pouvoir s'en passer est un privilège ?

Par Tiphaine Monange. Elle est designer et mène des recherches sur le confort intérieur et les rituels de la vie domestique. Elle publie depuis 4 ans son carnet de recherche sur laviematerielle.substack.com.

Pénurie et tension sur les ressources ont marqué ces derniers mois, des incendies de l'été aux grands froids cet hiver. Les difficultés climatiques ne sont pas nouvelles, mais elles s'intensifient, et les réponses qu'avaient pu leur opposer les siècles passés ne peuvent être revisitées telles quelles : les cheminées sont bouchées, le bois de coupe, peu accessible, les réchauds à gaz purement rattachés au camping. La réaction violente face au risque de coupure accuse le coup de cette impréparation et de cet imaginaire jusque là peu sollicité de l'hiver sans électricité. Le confort de ce siècle passé a été synonyme de grandes infrastructures électriques collectives, qui en ont diffusé les exigences et en ont permis l'accès au plus grand nombre, mais ont aussi rattaché l'ensemble des foyers à une même source d'énergie. Aujourd'hui, la fragilité de ces réseaux intensifie la demande d'autonomie. À l'heure où l'imaginaire collectif rêve de poêle à bois et de bunkers survivalistes, comment s'adapteront les besoins à cette baisse de l'offre ? Comment gérer les besoins quand l'électroménager consomme moins mais s'accumule ? Panneaux solaires, générateurs dernière génération à plusieurs semaines d'autonomie, lampes à huile au bio-éthanol, réseaux électriques individuels, ou bougies, système D et radiateurs à bain d'huile ? Au moment où déclinent rapidement services publics et infrastructures communes, devrons-nous renouer avec la débrouille individuelle, à chacun selon ses moyens ?

- pour une réflexion sur les flux électriques, leur gestion et l'avenir des infrastructures : À bout de flux de Fanny Lopez

- des lampes à huile revisitées chez le très chic Fatboy, qui déplace les lampes de table de l'extérieur aux intérieurs

- la variété des chauffages "économiques" proposées sur Le Bon Coin, de la débrouille à la dernière innovation au bio-éthanol, avec la réémergence du système D

🔮👁️😮 Est-on en train de passer d'un monde où on cherche à réduire le temps de travail à un monde où le temps de travail n’a plus d’importance ?

Par Samuel Durand. Il explore les transformations du travail à travers ses documentaires Work in Progress et sa newsletter le Billet du futur.

Historiquement, le temps de travail, considéré comme une activité productive rémunérée, a considérablement diminué dans les pays développés, une baisse d’environ 25% pour la seconde moitié du XXe siècle selon l’INSEE. Cette baisse tendancielle du temps de travail, considéré comme un des effets du progrès, a certes ralenti depuis une vingtaine d’années mais l’idée que nous devrions réduire le temps de travail est toujours bien présente. Cette année, nous n’avons jamais autant entendu parler de la semaine de 4 jours, le “quiet quitting” a mis en avant ceux qui cherchent à en faire le moins possible…

A ce rythme, nous pouvons nous interroger sur la direction que prend cette tendance de baisse du temps de travail. Finirons-nous, comme Keynes le prédisait déjà le siècle passé, par ne travailler plus qu’une quinzaine d'heures par semaine ?

Je n’en suis pas si sûr !

Pour reprendre des concepts anglophones, nous passons progressivement du “work-life balance” au “lifework integration”. Autrement dit, certains ne cherchent plus à respecter un équilibre dogmatique entre une vie professionnelle et une vie personnelle, ils acceptent le brouillement des frontières et cherchent plutôt à trouver une harmonie dans l’intégration du travail comme faisant partie intégrante de la vie.

Cette idée me paraît d’autant plus saine que ce concept de “work-life balance” nous laissait dangereusement croire par sa sémantique que travailler ce n’est pas vivre.

Si nous tirons le fil de la réflexion, nous avons rapidement besoin de nous mettre d’accord sur une définition commune du travail, et la plus universelle que j’ai trouvée est proposée par l’anthropologue James Suzman qui définit le travail comme une dépense d’énergie dans un but précis. Et à ce compte-là, le temps de travail ne diminue plus, au contraire !

🔮👁️😮 Est-on en train de passer d’un monde d’écrans à un monde de plumes ?

Par Stéphane Schultz. Il explore la manière dont le numérique transforme la société dans sa newsletter.

Dans la série, “rematérialisation”, je verrai bien le papier revenir en force pour nos communications interpersonnelles.

Nous échangeons en moyenne près de 100 messages électroniques par jour. Les solutions basées sur l’intelligence artificielle nous promettent des contenus toujours plus ciblés. Mais alors que le numérique est critiqué pour son impact carbone, il n’a jamais remplacé le papier. Au contraire, l’industrie papetière se porte à merveille. Emballages, colis, mais aussi productions graphiques récompensent un secteur qui s’est transformé en devenant plus qualitatif et plus soucieux de son impact environnemental. Avec un taux de 75% le papier/carton est désormais le matériau le plus recyclé.

Le e-commerce a aussi montré que le “matériel” était loin d’avoir disparu de nos gestes quotidien. Au contraire. L’activité colis représente la moitié du chiffre d’affaires de La Poste. Plus de 40% des 18-24 ans achètent et revendent sur Vinted. Nos ados font plus souvent des paquets que des lettres.

Le courrier individuel n’est pas mort pour autant. Que ce soit pour annoncer un mariage ou une naissance, les jeunes générations continuent à envoyer des faire-part. Le papier ça compte pour les moments importants !

Comme souvent dans l’histoire des usages, le balancier pourrait repartir dans l’autre sens avec la recherche d’une communication plus authentique et plus humaine. Alors pourquoi ne pas imaginer que le bon vieux “courrier” retrouve une seconde jeunesse, sous des formes à réinventer ?

🔮👁️😮 Est-on en train de passer d’un monde où l’entreprise est en quête constante de croissance et de productivité à un monde où l’entreprise vit au rythme des saisons ?

Par Maxime Barluet de Beauchesne. Il explore les mutations des modèles d’entreprises par l’éthique, la raison d’être et les imaginaires collectifs. Newsletter en lancement

Face aux enjeux de notre époque, j’aime explorer le reste du vivant pour m’inspirer des éléments de réponses, et en ce moment ce sont les saisons qui m’interpellent. Pour le dire vite (et donc avec peu de nuances) je crois que nous, humains, en particulier occidentaux et plus spécifiquement en entreprises, courrons après une croissance et une productivité dans laquelle le vivant ne s'inscrit qu’au printemps et en été; et que de ce fait, nous ne nous autorisons ni automne, ni hiver.

Or, si l’exploitation des ressources naturelles a créé une abondance factice nous permettant de vivre une forme d'été constant, chaleureux, énergisant et enthousiasmant, l’utopie d’un été qui ne se termine jamais se révèle être aussi la dystopie des méga-incendies, du réchauffement climatique et des burnouts. Tout brûle !

C’est ceci qui m’invite à poser la question : “À quoi ressemblerait une entreprise qui vivrait au rythme des saisons ?”

N’est-on pas ici en présence d'un narratif qui pourrait nous inspirer une quête de justesse frugale entre croissance et décroissance, entre productivité et repos, entre innovations et renoncements ? Au delà du monde des idées, j’y vois aussi un rythme intéréssant de fluctuations naturelles que nous pourrions décider de suivre pour transformer nos entreprises et renforcer leur résilience.

🔮👁️😮 Est-on en train de passer d’un monde où des pans entiers de nos villes s’enfrichent, à un monde attentif au moindre espace libre dans nos espaces urbains ?

Par Sylvain Grisot. Urbaniste, il travaille sur les modèles alternatifs de la fabrique de la ville et diffuse les résultats de son enquête sur le long cours via des essais et une infolettre du mercredi.

La fabrique de la ville a passé un demi-siècle à se concentrer sur la construction neuve et l’étalement urbain. À coup de lotissements et de zone d’activité, nos villes colonisent les terres agricoles sans que l’on se soucie de l’impasse dans laquelle nous met ce modèle. En parallèle les friches et les espaces vacants se multiplient, la faute à un développement urbain qui a appliqué à grande échelle les préceptes de l’obsolescence programmée. La recette est simple : construire du neuf sur des terres agricoles dès qu’un nouveau besoin émerge, suroptimiser les projets pour en réduire les coûts et les rendre inadaptables, puis abandonner l’ensemble dès que les besoins évoluent. Et recommencer.

À penser le tissu urbain et le bâti comme de vulgaires gobelets en plastique, on multiplie les magasins de meuble abandonnés en entrée de bourg, les friches perdues dans les zones d’activité, les logements poussiéreux oubliés aux étages des commerces, les parkings inexorablement vides et les immeubles zombies qui attendent l’annonce officielle de leur fin de vie…

Mais les chocs des derniers mois, la prise de conscience des enjeux écologique et les évolutions réglementaires sont en train de changer la donne. Autrefois délaissées, les friches deviennent le nouvel eldorado, et chacun cherche sa friche. C’est un changement de regard heureux sur l’existant, mais il va nous falloir apprendre a transformer ces espaces pour répondre a nos besoins bâtis, mais peut être aussi apprendre à ne pas les bâtir pour répondre a nos besoins de ralentissement et de résilience. Et si la friche était l’avenir de nos villes ?

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