Et si, demain, les entreprises étaient conçues pour être fermées ?
Cet article contient de la fiction prospective. Ce contenu est fictionnel. Il est toutefois inspiré par l'observation de signaux faibles et d'émergences issue d'une veille intensive sur l'évolution des modes de vie. Abonnez-vous pour recevoir une nouvelle fiction tous les jeudis.
Un futur possible, inspiré par le présent, ses tendances et ses signaux faibles.
Vous saisissez le dernier coupon de tissu et l’observez avec émotion. Conformément à votre intention de départ, il signifie la fin de votre entreprise. C’était bien l’idée : une matière première limitée - secondaire en fait, car récupérée d’anciens stocks - et sélectionnée avec soin, pour une fabrication limitée. Vous avez atteint votre objectif : malgré la contrainte d’un stock de tissu restreint, 1 000 enfants portent désormais vos créations. Et avec le soin que vous avez mis à la fabrication, chaque pièce pourra être portée par dix enfants différents.
C’est ce que vous vouliez : que vos produits vivent plus longtemps que votre entreprise. Le mouvement des entreprises à durée déterminée vous avait inspiré cette idée. Ces entreprises, encore peu nombreuses, avaient réussi à faire parler d’elles en annonçant s’être fixées une date de péremption pour sortir de la logique de la pérennité par la croissance. Une sorte d’obsolescence programmée, mais à bon escient. Au-delà du coup marketing, assez brillant, vous aviez apprécié la philosophie. Pour les entreprises de services, la date de la retraite de l’entreprise est fixée selon la durée de vie des compétences et la pénibilité du travail pour ne pas abîmer les Hommes. Pour les entreprises de production, ce sont les ressources limitées qui souvent déterminent la fin de l’activité.
Vous avez appliqué ces préceptes à votre entreprise, de manière transparente pour vos clients et vos salariés. La conception des produits a été optimisée pour les maintenir le plus longtemps en vie : le style, intemporel, la qualité, irréprochable, et les coloris, peu propices aux tâches. Patrons et notices sont à disposition des clients pour qu’ils puissent entretenir, réparer, voire recréer ces vêtements eux-mêmes. Des instructions sont également laissées à destination de la dernière génération d’utilisateurs du vêtement qui aura la charge de son recyclage.
Evidemment, vos pièces coûtent plus cher que des vêtements produits à grande échelle. La concurrence est rude avec les vêtements de seconde main issus de l’industrie textile. Mais vos clients intègrent dans le coût de l’achat leur capacité à les revendre. Et puis, un nombre croissant de clients soutiennent les entreprises à durée déterminée. Heureusement, car mettre une entreprise à la retraite est un choix radical encore peu accompagné par les pouvoirs publics. Cette fermeture, même si elle était prévue, amène aussi une question que vous avez pour l’instant éludée : quel sera votre prochain projet ? Une seule chose est sûre, c’est qu’il sera lui aussi à durée déterminée. Impensable de faire machine arrière !
Les tendances et signaux faibles derrière la fiction
🔮 L’entreprise post-croissance (disclaimer : nous avons eu la chance travailler avec Expanscience récemment 💛)
“Le renoncement aux activités incompatibles avec les limites planétaires est clé. Les lingettes par exemple. Elles représentent 20 % de notre CA mais elles ont un coût important pour la société et l'environnement.”
👁️ L’entreprise qui ne grandit pas
😮 Benim Denim, l’entreprise de mode conçue pour être fermée
“our idea was to take the dead stock at hand and turn it to life. Starting a brand that is only running as long as the dead stock denim roll allows us to. As soon as we’re out of the 170-meter roll, we’re shutting down the brand for good.”
(Trad. "Notre idée était de prendre le stock perdu et de lui donner vie. Lancer une marque qui ne fonctionne que le temps que le rouleau de denim nous le permet. Dès que nous aurons épuisé le rouleau de 170 mètres, nous arrêterons la marque pour de bon.")
😮 Mourir en paix : les entreprises prendront-elles leur retraite ?
L’entreprise n’est pas un être vivant. Sa mort nous apparaît donc moins inéluctable. Pour autant, si on envisage de fermer des entreprises qui ne participent plus à la création d’un futur souhaitable et/ou dont l’activité semble destinée à disparaître, alors la formule « mourir en paix » peut aider à rendre cette idée acceptable. Elle permet de sortir de la logique de survie mortifère et de « préparer » la fin en se posant la question suivante : qu’est-ce qu’il faut mettre en place pour pouvoir être apaisé au moment de la fermeture ?