Et si, demain, être habitant-jardinier devenait un privilège ?
Cet article contient de la fiction prospective. Ce contenu est fictionnel. Il est toutefois inspiré par l'observation de signaux faibles et d'émergences issue d'une veille intensive sur l'évolution des modes de vie. Abonnez-vous pour recevoir une nouvelle fiction tous les jeudis.
Un futur possible, inspiré par le présent, ses tendances et ses signaux faibles.
De retour à la maison après le travail, vous vous dirigez vers le garde-manger. Comme à votre habitude, c’est l’heure de vous occuper du potager. Cette pièce, une ancienne chambre d’enfant à en croire le papier peint, est aujourd’hui remplie de tours de culture verticales hors sol, baignées d’une lumière artificielle. Raccordées à un bassin d’eau, les plantes se nourrissent des déjections des poissons qui y nagent tranquillement.
Ces dernières années, les potagers ont fleuri à la place des piscines dans les maisons individuelles, avec des systèmes toujours plus ingénieux de stockage d’eau, mais aussi de lutte contre les nuisibles et la pollution. De votre côté, habitant en appartement, vous avez dû pendant un long moment vous contenter de nourriture élevée en laboratoire à partir de cellules, la “nourriture Frankenstein” comme l’appelle votre fille. Il parait que ces substituts sont moins pollués que la nourriture issue des potagers. Surtout, étant pris en charge par la sécurité sociale de l’alimentation, ils vous ont permis de maintenir un régime équilibré dans un contexte de forte volatilité des prix.
Vous vous souvenez bien de la première fois où vous avez découvert cet appartement, alors que vous cherchiez un nouveau logement : l’annonce immobilière était déjà très intrigante, mais la visite vous avait totalement séduit·e. Le propriétaire avait en effet aménagé des tours de culture dans une petite chambre. L’agent immobilier vous avait glissé qu’il y avait dix autres visites prévues dans la journée et que ce bien audacieux allait partir rapidement. Il n’en a pas fallu beaucoup plus pour vous décider. Et voilà donc comment vous êtes vous aussi devenu·e habitant-jardinier. Vous découvrez les joies et les peines de ce nouveau mode de vie. Cela ne couvre pas tous vos besoins alimentaires, loin de là. Mais vous pouvez peu à peu réintroduire des produits frais et naturels dans votre alimentation. Sans compter le plaisir et la fierté de produire soi-même. Dans le fond, cela vous procure un sentiment d’ascension sociale très satisfaisant.
Le plus dur est certainement de devoir réapprendre à faire la cuisine. Heureusement, vos enfants participent à la préparation des repas à la cantine de l’école, et reviennent à la maison avec de bonnes idées de recettes et des techniques de cuisine qui vous sont inconnues : beaucoup de légumineuses, du cru ou de la fermentation. Mais, de temps en temps, il vous arrive, en cachette, de craquer pour un avocat, un carré de chocolat ou une bonne tasse de café issus de la nourriture Frankenstein…
Les tendances et signaux faibles derrière la fiction
🔮 La culture du potager en Russie
L’Union des Jardiniers de Russie estime que, sur la centaine de millions d’urbains que compte la Russie, soixante millions d’habitants pratiquent le jardinage à des fins de production alimentaire. Même dans les plus grandes villes, dont Moscou et St Pétersbourg, plus de la moitié de la population dispose d’une parcelle cultivable : on les appelle habitants-jardiniers, ou datchniki. Dans les villes de province, telles Kazan, leur proportion peut atteindre 80% de la population
🔮 Farmer in Chief (2008)
When Eleanor Roosevelt did something similar in 1943, she helped start a Victory Garden movement that ended up making a substantial contribution to feeding the nation in wartime. (Less well known is the fact that Roosevelt planted this garden over the objections of the U.S.D.A., which feared home gardening would hurt the American food industry.) By the end of the war, more than 20 million home gardens were supplying 40 percent of the produce consumed in America.
(Trad. Lorsqu'Eleanor Roosevelt a fait quelque chose de similaire en 1943, elle a contribué à lancer le mouvement des jardins de la Victoire, qui a fini par apporter une contribution substantielle à l'alimentation de la nation en temps de guerre. (On sait moins que Roosevelt a planté ce jardin malgré les objections de l'U.S.D.A., qui craignait que le jardinage domestique ne nuise à l'industrie alimentaire américaine). À la fin de la guerre, plus de 20 millions de jardins familiaux fournissaient 40 % des produits consommés en Amérique.)
En effet l’Union européenne, avec un niveau de stock équivalent à 12 % de la consommation annuelle, soit quarante-trois jours, fait office de cigale. C’est le pire niveau du monde parmi les grands pays producteurs, derrière la Russie (18 %), l’Inde (23 %), les Etats-Unis (25 %) et la Chine, on l’a vu, qui dispose de l’équivalent de neuf mois de consommation (75 %).
👁️ Résilience alimentaire et sécurité nationale
Une cyberattaque paralyse tous les acteurs de l’approvisionnement alimentaire de l’Hexagone. Les magasins n’ont que trois jours de stocks et cette réalité angoisse la population devenue intolérante à la frustration. Files d’attente, rayons vidés en quelques minutes, émeutes, forces de sécurité largement débordées… Le « vivre ensemble » est instantanément relégué à la liste des expressions désuètes. Impossible ?
Ce livre est la restitution d’une enquête au sein de « mondes qui se parlent peu » : défense, agriculture, sécurité, alimentation, risques, société civile.
Analyse d’un impensé, pistes de réponses à cette question essentielle : sommes-nous réellement préparés à une pénurie alimentaire ?
👁️ Terres de Liens : transmettre ses terres agricoles
Vous pouvez avoir envie de garantir à très long terme la continuité de votre ferme, préserver sa vocation nourricière ou un mode de culture qui vous tient à cœur. Il vous est possible de nous donner votre terre et assortir ce geste de conditions d’utilisation qui s’imposeront à Terre de Liens. Reconnue d’utilité publique, la Fondation Terre de Liens est habilitée à recevoir des donations et legs de terres et de fermes. Elle est l’un des rares organismes à accepter et conserver sans les revendre des terres agricoles, puis à les protéger et y installer des agriculteurs. Elle s’engage formellement à respecter les volontés du donateur (maintien de la vocation agricole, pratique de l’agriculture biologique, traction animale, entretien de patrimoine, etc.)
👁️ Le travail de Superflux : un appartement dans un contexte d’insécurité alimentaire
👁️ Fermentation maison : le groupe Facebook avec 50.000 membres
Frankenfood is a slang term describing the various types of genetically modified food products created using bioengineering.
(Trad. Frankenfood est un terme d'argot décrivant les différents types de produits alimentaires génétiquement modifiés créés à l'aide de la bio-ingénierie.)
😮 Agriculture urbaine verticale de jardin
😮 Petit manuel de cuisine punk
Cuisiner pour résister et s’émanciper ! Finie l’alimentation capitaliste industrialisée ! Vive la cuisine subversive !
Ce petit ouvrage percutant considère nos habitudes alimentaires via le prisme de la culture punk. Cuisiner peut devenir un acte de résistance et d’émancipation. C’est même un excellent moyen de lutter contre l’omniprésence d’une alimentation capitaliste, de plus en plus industrialisée et dénaturée. Un ouvrage qui prône le fait-maison grâce à des recettes végétaliennes très simples, à base de produits bio,...
Pour aller plus loin : Le rapport de Grenier d’Abondance m’a beaucoup guidée dans ces recherches. Vous y retrouverez notamment la proposition de sécurité sociale alimentaire.