La prospective créative, le retour de l'imaginaire pour gérer l'incertitude
Cet article contient de la fiction prospective. Ce contenu est fictionnel. Il est toutefois inspiré par l'observation de signaux faibles et d'émergences issue d'une veille intensive sur l'évolution des modes de vie. Abonnez-vous pour recevoir une nouvelle fiction tous les jeudis.
Installez-vous confortablement dans votre siège, et fermez les yeux. Imaginez que nous sommes en 2030. A quoi ressemble le monde qui vous entoure ? Y voyez-vous des voitures volantes ? Un revenu universel versé par Amazon ? Un potager familial alimenté par votre citerne individuelle ? Des robots qui ont pris la place des femmes et des hommes au travail ?
A mon tour de vous proposer une vision : Imaginez que nous soyons dans un monde avec un rapport totalement différent au futur. Demandez-vous : et si, demain, le futur faisait partie de notre présent ? Et si chaque organisation était dotée d’un conseil des générations futures, chargée de s’assurer que les décisions prises vont bien dans l’intérêt des enfants, nés et à naître ? Et si, à l’école, les enfants, après un cours d’histoire, apprenaient à imaginer le futur plutôt qu’à le craindre ? Imaginez que le futur, au même titre que le passé et le présent, devienne pour chacun un champ d’action, une matière à explorer que l’on cherche à décrypter pour mieux s’y adapter.
Depuis plusieurs années, j’observe le présent pour décrypter les futurs possibles, à la recherche de ce qui est en train de changer autour de nous. Concrètement, il s’agit d’observer et de décrypter les changements dans une optique de gestion des risques, mais aussi pour identifier de nouvelles opportunités, les amplifier et agir. Préserver ce qui doit l’être, et changer ce qui ne peut plus rester ainsi. Remettre le futur au cœur de notre manière de penser et d’agir est une discipline dont nous avons besoin pour être de bons ancêtres.
Pendant plusieurs décennies, la science-fiction a développé en partie l’imaginaire d’un futur dystopique et technologique. Aujourd’hui, ces futurs sont presque oubliés face à l’onde de choc du réchauffement climatique qui se déroule déjà sous nos yeux. Le futur, anxiogène, est le lieu du pessimisme. Il ne s'agit pas de nier l’ampleur des changements qui vont avoir lieu dans les prochaines années, mais bien de mettre son énergie à les décrypter pour mieux s’y préparer avec optimisme.
Passons d’un monde où le futur est un objet non défini à un monde où le futur est un sujet de conversation et un levier d’action.
La pandémie du Covid a marqué un vrai tournant dans les esprits : du jour au lendemain, nous avons compris que demain pourrait être différent d’aujourd’hui. Et cela d’une manière totalement inattendue et incertaine. La non-linéarité du futur est apparue à tous.
Cette pandémie est rétrospectivement intéressante à plus d’un titre. Elle nous a pris par surprise en tant que société et individus. Mais cette surprise n’est-elle pas le symptôme d’un manque d’attention ou d’un aveuglement à ce qui est en train de changer autour de nous ?
Certains ont qualifié la pandémie de cygne noir, en référence à Nassim Nicholas Taleb. On appelle cygne noir un événement imprévisible qui a une faible probabilité de se dérouler et qui, s'il se réalise, a des conséquences d'une portée considérable et exceptionnelle. Comme par exemple, Internet, l'ordinateur personnel, la Première Guerre mondiale, la chute de l'URSS et les attentats du 11 septembre 2001.
Pourtant, le risque pandémique était connu et identifié comme probable, le SRAS ou Ebola en sont des exemples tangibles. Les imaginaires du futur avaient aussi bien intégré ce risque. La pandémie a été largement développée dans la littérature de science fiction.
Prenez par exemple Station Eleven, de Emily St John Mandel, paru en 2014 :
“Il y eut la grippe qui explosa la surface de la terre, telle une bombe à neutrons, et le stupéfiant cataclysme qui en résulta, les premières années indescriptibles où les gens partirent sur les routes pour finalement se rendre compte qu’il n’existait aucun endroit, accessible à pied, où la vie continuait telle qu’elle avait été avant”
La futuriste Jane McGonigal conçoit des jeux vidéo pour immerger dans le futur. En 2010, elle a embarqué 20 000 personnes dans une simulation d’un monde sous l’emprise d’une pandémie mondiale.
Alors pourquoi a-t-on considéré cette pandémie comme “inimaginable”? Jane McGonigal nous donne une explication intéressante : “Nous n’avions pas atteint la masse critique de personnes qui ont imaginé ce futur”
Pour qu’un futur devienne vraiment une possibilité dans nos esprits, il faut que nous ayons été suffisamment nombreux à en discuter, à l'expérimenter et à le remettre en question.
Évidemment cette offre n’existe pas, elle est fictionnelle. Néanmoins, elle repose sur un des observations du présent qui amènent à se demander : à quoi pourrait ressembler l’assurance dans un monde où les crises à répétition deviennent notre quotidien ? Si le changement climatique n’est pas assurable, l’impact des crises l’est-il ? Alors, seriez-vous prêts à souscrire au plan B ? Qu’en pensez-vous ?
Continuons à nous amuser un peu avec un autre exemple, concernant la banque cette fois.
Une banque qui nous aiderait à mieux gérer notre pouvoir d’achat en nous empêchant d’acheter…Une idée bizarre certes, mais, tout de même.. Qu’en pensez-vous ?
Ces deux exemples imaginent des services du futur pour mieux vous projeter et vous amener à vous questionner dessus. Cette approche peut s’apparenter à ce que l’on appelle : le design fiction.
Le design fiction est une démarche qui cherche à matérialiser des futurs possibles grâce à des prototypes du futur (objets, services, lieux…). Puisant dans les approches narratives et de design, le design fiction propose une expérience immersive, qui permet la prise de hauteur, et le pas de côté. L’objectif est de mettre en débat les futurs, mais d’une manière constructive, puisque chacun aura pu expérimenter une tranche de vie de ce futur.
La fiction écrite est également un moyen de s’immerger dans le futur. Les Mikrodystopies de François Houste en sont un bon exemple.
Par exemple :
“La nouvelle réglementation n'autorisait la publicité qu'aux entreprises capables de présenter, d'un bout de leur chaîne de production à l'autre, un bilan écologique positif sous tous ses aspects.”
Un autre exemple :
“C'était un bug étrange.
À chaque fois qu'il éternuait, l'ensemble des ampoules connectées de son appartement s'allumaient.”
En rendant le futur palpable grâce à la fiction, qu’elle soit le fruit d’un travail littéraire ou de design, on peut créer une discussion constructive : comment interprétez-vous ce que vous venez d’entendre ? Est-ce que cela vous semble probable ? Est-ce que cela vous donne envie ? Vous fait peur ? Et qu’en pensent les autres ?
Les nations iroquoises, dès le 12ème siècle prennent leurs décisions en ayant « toujours en vue non seulement le présent, mais aussi les générations à venir, même ceux dont les visages sont encore sous la surface de la terre – les enfants à naître de la future Nation ». C’est ainsi que « chaque décision prise doit tenir compte du bien-être de la septième génération à venir ».
La prospective créative nous ouvre cette largeur de vue pour intégrer le futur dans nos conversations stratégiques.
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